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Déforestation au Brésil : que peut changer la législation européenne ?
Par François-Michel Le Tourneau, Géographe, directeur de recherche au CNRS, Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne pour The Conversation France | 04 janvier 2023 | Mis à jour à 09:01

Le Monde est vert
| En décembre 2022, le parlement européen s’est mis d’accord pour édicter une nouvelle législation destinée à bannir de ses importations les produits qui seraient issus de zones déforestées. Il s’agit d’une avancée majeure sur la question de la « déforestation importée », c’est-à-dire la déforestation qui existe du fait de la demande de marchés distants, en particulier celui de l’UE.
On ne peut que se réjouir d’un texte dont l’ambition est de mettre en valeur le rôle des marchés dans les dynamiques qui contribuent au changement climatique, ainsi que de responsabiliser les producteurs qui se conduisent mal, menacés d’amendes s’ils sont pris en défaut. Mais, si on applique le cadre qui vient d’être approuvé à la question de la déforestation au Brésil, peut-on en attendre des changements rapides ou significatifs ?La question du contrôle : pas si simple
Le parlement européen insiste sur le fait que les produits seront contrôlés en fonction d’une traçabilité qui sera reliée à une base de données tirée d’imagerie satellitale proposée par Airbus et permettant d’identifier les parcelles déforestées. On ne doute absolument pas de la grande précision des données géographiques qui seront produites. Mais l’association de telle ou telle carcasse de viande ou telle ou telle cargaison de soja à des parcelles interdites risque d’être plus délicate. Il ne faut en effet pas perdre de vue qu’une grande partie de la déforestation qui se produit au Brésil, en particulier en Amazonie, est déjà illégale, si bien que les produits qui en proviennent sont déjà interdits… S’ils sont mis sur les marchés, c’est en se dissimulant, notamment en faisant croire qu’ils proviennent de régions où ils seraient légaux, par le biais de faux certificats ou de diverses techniques, comme le rachat en argent liquide de troupeaux illégaux qui se trouvent subrepticement insérés juste avant leur abattage dans le cheptel de fermes autorisées. L’Union européenne sera-t-elle plus forte que les autorités brésiliennes, sachant que, à la différence de ces dernières, elle n’aura pas accès au terrain pour mener des contrôles ? On peut se demander s’il n’y a pas un peu d’illusion technologique dans cet aspect de la législation.Quelles forêts ? Quelle déforestation ?
Comme l’ont fait remarquer de nombreuses ONG, le focus mis sur les forêts signifie que l’espace principalement concerné pour le moment, au Brésil, concerne le biome amazonien. Or, s’il est attaqué par la croissance de l’espace agricole, notamment du fait du développement des pâturages pour l’élevage bovin, cet espace n’est pas (et de très loin) le cœur du système agricole brésilien. Celui-ci bat dans les savanes du centre du pays (le cerrado), qu’il transforme de manière intense depuis quatre décennies, entraînant des conversions massives de végétation naturelle vers des parcelles agricoles.
Front de déforestation dans l’État du Roraima, 2016. Francois-Michel Le Tourneau, Fourni par l’auteur
Une faible part sous embargo
La question de la date de référence pour le suivi des parcelles constitue un autre point fondamental. Pour le moment, s’agissant des forêts, c’est la fin 2019 qui a été retenue. De ce fait, toutes les parcelles déforestées avant cette date ne sont pas interdites. Sachant que la déforestation des trois dernières années a été grosso modo de 35 500 km2 (chiffres INPE arrondis), sur environ 800 000 km2 déforestés dans le biome amazonien au Brésil, ce sont donc 4,3 % de l’espace agricole amazonien qui seraient interdits d’exportation dans l’UE à l’heure actuelle. Si l’on envisage une trajectoire de 10 000 km2 de déforestation par an sur la prochaine décennie (on espère évidemment que ce sera bien moins !), on atteindrait autour de 16 % à l’horizon 3032 – ce qui signifie que 84 % des zones déforestées en Amazonie pourraient encore exporter leur production en UE. Le même raisonnement s’applique au cerrado, bien évidemment, et on verra si la date qui sera retenue dans ce cas sera la même ou non. Dans les deux cas, ce sera une faible proportion de la surface agricole brésilienne qui sera, dans les faits, sous embargo. On a déjà souligné plus haut qu’une partie de la déforestation intervenue en Amazonie avant 2020 est considérée comme illégale par le gouvernement brésilien, qui est lui-même en train de mettre en place (difficilement) un programme de suivi environnemental (le cadastre environnemental rural ou CAR) destiné à cartographier ces aires et à obtenir des propriétaires qu’ils les reboisent. Mettre des moyens pour aider le Brésil à avancer beaucoup plus vite sur ce système aurait peut-être plus d’effets à court terme que d’envisager un contrôle depuis l’Europe, en ouvrant la voie non seulement à une stabilisation de la déforestation, mais à une récupération d’une partie des zones perdues.Vers deux marchés d’exportation ?
Le risque le plus sérieux que court la législation européenne est d’être contournée par la dissociation, de la part des exportateurs brésiliens, de leurs produits en deux marchés : une production écologiquement correcte, destinée à l’Europe (vendue sans doute plus cher), et une production peu regardante sur les conditions environnementales, destinée aux autres marchés, en particulier au marché chinois. Face à cela, les tenants du texte européen considèrent que le fait que l’Europe est globalement le premier marché mondial limite ce risque.
Exportations brésiliennes de soja et viande bovine en fonction des pays de destination ; le rapport entre les polygones correspond au rapport de valeur entre les productions. COMEXSTAT, Fourni par l’auteur