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« Crédits biodiversité » d’Emmanuel Macron : de quoi parle-t-on ?
Par Alain Karsenty, Cirad pour The Conversation France | 07 décembre 2022 | Mis à jour à 10:12

Le Monde est vert
| Le président Macron a annoncé le 7 novembre 2022 lors de la C0P 27 à Charm el-Cheikh en Égypte une initiative visant à protéger les « réserves vitales de carbone et de biodiversité » de la planète, comme les forêts anciennes, les tourbières ou les mangroves.
Une proposition de « partenariats pour la conservation positive » est faite aux pays qui abritent de telles réserves, s’appuyant sur des « contrats politiques et financiers » qui leur permettraient de garantir leur conservation. Pour cela, des « mécanismes financiers innovants » seront étudiés et il est notamment prévu qu’un « groupe de haut niveau sera chargé de faire des recommandations sur la création d’un marché de crédits biodiversité ». Si l’univers des différents types de crédits carbone est assez bien connu, la situation est plus floue en ce qui concerne les « crédits biodiversité ». Schématiquement, on peut distinguer deux cas : d’un côté, les systèmes, réglementaires ou volontaires, de compensation biodiversité avec des offsets, autour du principe « pas de perte nette » associé à la séquence éviter-réduire-compenser (ERC). De l’autre, des crédits non destinés à la compensation, calqués sur les crédits carbone volontaires, qui sont avant tout de véhicules de financement pour financer des actions en faveur de la biodiversité. Alors que s’ouvre justement la COP15 consacrée à la biodiversité à Montréal, tentons d’y voir plus clair sur ces deux types de systèmes complémentaires, leurs avantages et leurs limites.Compenser si l’on ne peut pas éviter et réduire
Les politiques d’atténuation et de compensation visant des objectifs tels que l’absence de perte nette ou le gain net de biodiversité sont déjà bien établis dans un certain nombre de pays de l’OCDE. Certains pays ont structuré la mise en œuvre de leur dispositif sous la forme d’unités d’échanges standardisées : des « crédits », ou des « biodiversity offsets ». Voici quelques caractéristiques clés du fonctionnement de ces systèmes : généralement fondés sur les objectifs « d’absence de perte nette » ou de « gain net », ils utilisent différents scénarii de ce qui adviendrait en situation business-as-usual. Les systèmes les plus avancés sont réglementés plutôt que volontaires, c’est-à-dire que la loi exige une compensation écologique pour les impacts sur la biodiversité. [Près de 80 000 lecteurs font confiance à la newsletter de The Conversation pour mieux comprendre les grands enjeux du monde. Abonnez-vous aujourd’hui] Les aménageurs (publics comme privés) ayant des conséquences négatives sur la biodiversité doivent appliquer la hiérarchie d’atténuation ERC. Si des impacts résiduels significatifs persistaient malgré cela, alors ils doivent faire l’objet d’une compensation. Celle-ci peut passer par la restauration ou la protection d’autres sites – selon des règles d’équivalence à établir. L’aménageur peut la mener lui-même s’il a la maîtrise foncière des lieux concernés – sinon, des opérateurs de compensation s’en chargent.Des banques de compensation
Quand ces mesures sont mises en œuvre à l’avance, en anticipation de la demande des aménageurs, on parle de « compensation par l’offre » : des « banques de compensation » jouent un rôle pivot en émettant différents types de crédits au fur et à mesure des compensations réalisées. Ce modèle permet de réunir celles de plusieurs aménageurs en un même lieu, avec une continuité écologique possible entre les zones. Ce qui est échangé entre aménageurs et opérateurs de compensation, ce sont des « débits » (les pertes de biodiversité causées par les aménageurs) et des « crédits » (les gains de biodiversité produits par les opérateurs) de biodiversité. Ceux-ci sont mis en équivalence écologique : (espèce ; espèce ou habitat ; habitat) grâce à une unité de compte commune et des règles d’échange. Ces crédits sont spécifiques : chaque catégorie de crédit ne permet de compenser que les pertes occasionnées sur un écosystème semblable (un crédit « forêt » ne peut pas servir à compenser une perte de zone humide, par exemple). La nature complexe de la biodiversité et les exigences d’équivalence écologique signifient que les échanges ne sont en général autorisés qu’à une échelle locale.Des systèmes imparfaits
Les équivalences écologiques sont toutefois difficiles à établir, notamment quand les milieux sont très spécifiques et les espèces abritées sont rares ou remarquables. Contrairement au carbone, il n’existe pas de véritable « métrique » pour la biodiversité, et la question est de savoir si les équivalences doivent se fonder sur le nombre d’espèces, les habitats des espèces, les fonctionnalités d’un écosystème ou les services écosystémiques. La séquence ERC ne remplit pas ses objectifs : les pressions pour la réalisation de routes, mines ou barrages, etc. sont multiples, et « l’évitement » est une option peu souvent retenue. En France, la rédaction du texte de la « doctrine ERC » est révélatrice de cet embarras :« Lorsque, en l’état des connaissances scientifiques et techniques disponibles, l’équivalence écologique ne peut être obtenue […] le projet, en l’état, ne peut, en principe, être autorisé. »Une grande partie des compensations passe par des achats de terre, des servitudes de conservation ou des paiements pour services environnementaux (PSE), et est fondée sur des « destructions évitées », lesquelles sont censées être démontrées par des scénarii de référence (contrefactuels) souvent invérifiables, ce qui renvoie au problème d’additionnalité bien connu avec les crédits carbone : si le scénario business-as-usual prévoit de fortes pertes de biodiversité sur la zone de compensation, une perte moindre sera présentée comme une compensation réussie, quand bien même il y a perte nette.
Certificats d’impact positif
Les crédits biodiversité, quant à eux, sont calqués sur les crédits carbone. Ils n’ont pas l’ambition de compenser des pertes de biodiversité, mais d’être des instruments de financement échangeables sur un marché secondaire, et généralement conçus dans une optique de « paiements basés sur les résultats ». Le think tank International Institute for Environment and Development propose le terme de « biocrédits » pour distinguer ceux-ci des « biodiversity offsets » évoqués auparavant. Il serait plus clair de renoncer au terme de « crédits » pour parler de « certificats d’impact positif ». Ils seraient acquis dans le cadre de politiques RSE d’entreprise ou de financements de la biodiversité par des Fondations ou autres institutions, sans ouvrir droit à un « débit » : alors que le crédit carbone est un permis d’émission, un certificat d’impact n’ouvre pas de droit à détruire de la biodiversité. C’est une logique de contribution à l’effort collectif et non de compensation.Des forêts en Malaisie ou des « Rhinos credits »
Des initiatives de ce type existent. On peut citer l’exemple de la Malua Biobank au Sabah (Malaisie), lancée à la fin des années 2000 à l’initiative du service forestier, où un « Biodiversity Conservation Certificat » de restauration ou de protection est émis pour 100 m2 d’écosystème forestier restauré/protégé et vendu à un prix de 10 dollars. Les acheteurs étaient les entreprises de palmier à huile opérant au Sabah.
Les Rhinos credits visent à encourager la croissance de la population de cette espèce en voie de disparition. Kdsphotos/Pixabay, CC BY-NC-ND