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JO d’Hiver 2022 : un bilan environnemental globalement négatif

Par Robert Lanquar et Geoff Gibas, Swiss UMEF University, Genève | 03 mai 2022 | Mis à jour à 10:05


Le Monde est vert

| Il est temps de faire le bilan des Jeux Olympiques d’hiver 2022 qui se sont déroulés à Beijing du 4 au 20 février. Les critiques qui leur ont été faits et leur boycott par la plupart des grands de ce monde en raison des violations des Droits de l’Homme et le génocide Ouighour ont porté aussi sur les questions environnementales. Beijing accueillait pour la deuxième fois ces Jeux. Elle devenait la première ville de l’histoire à accueillir à la fois les Jeux olympiques d’été et d’hiver. 

 

En 2008, pour les Jeux Olympiques d’été, pour Beijing, ce fut l’illustration célébrée par tous, d’une megabrand, la Chine. Les Jeux d’hiver de 2022 montreront la détérioration de cette marque, non seulement sur le plan politique, sinon surtout environnemental. En plus, Vladimir Poutine fut le seul homme d’Etat reçu en grandes pompes à Beijing ; quatre jours après la fin des Jeux, il lançait ses troupes contre l’Ukraine. 

Les critiques ont commencé dès le choix de la ville. Quand en octobre 2014, Oslo retire sa candidature, seules Almaty (située dans le sud-est du pays, à 970 km au sud de Nour-Soultan (ex- Astana), la capitale du Kazakhstan) et Beijing restent en lice. Il suffira d’un seul tour au Comité International Olympique pour désigner le 31 juillet 2015 à Kuala Lumpur la ville hôte. Ce sera Beijing.

Dès la fin 2019, alors que les travaux d’aménagement s’accéléraient, la pandémie sera là malgré la stratégie zéro COVID imposée par le gouvernement et dont on voit aujourd’hui le semi-échec. On s’est alors posé la question de savoir si les Jeux devaient se tenir ou être repoussés  comme l’ont fait Tokyo 2020 ou Oran pour les Jeux méditerranéens 2021. 

Le rêve blanc du tourisme chinois

En 2019, dans  un ouvrage collectif(1)  sur  « Le Tourisme Hivernal », Hai Dong et Jean-Louis Greffard publiaient un chapitre intitulé « Le rêve blanc du tourisme chinois ». Les auteurs expliquaient que jusqu’au début des années 2000, le tourisme hivernal était « pratiqué de manière marginale sur le territoire chinois ». Ce tourisme a connu un essor considérable pour deux raisons : une classe moyenne supérieure grandissante pour qui ce tourisme «  est perçu tout autant de s’affirmer personnellement que de s’afficher pour autrui », l’autre raison étant la nécessité de construire le maximum d’infrastructures pour parvenir à des taux de croissance à plus de dix pourcent(2)

C’est dans ce contexte que le 13ème Plan quinquennal (2016-2020) a engagé la Chine dans un ambitieux programme de la pratique des sports d’hiver selon trois axes : développement des sports d’hiver ; construction d’infrastructures pour les sports sur neige et sur glace ; enfin plan  de démocratisation  des sports d’hiver »  pour que la population s’y adonnant passe de 12,5 millions en 2015 à 300 millions en 2022 ; le tout couronné par les Jeux olympiques d’hiver de Beijing.  Rappelons qu’en 1996, le nombre de skieurs chinois était seulement de 10 000.

Cependant, le produit « ski » et les activités associées ne pouvait constituer une attraction touristique majeure, non pas seulement pour venir renforcer l’offre touristique, comme les autorités chinoises l’avaient fait dans les années 1990 avec le tourisme culturel. Elles ont en effet défendu à l’UNESCO, sans grande rigueur, l’inscription sur la Liste du Patrimoine mondial (2021) de 56 sites dont 38 culturels, 14 naturels et 4 mixtes, les premiers en 1987: un record dépassant la France (49 sites), l’Espagne (49 sites), et presqu’à égalité avec l’Italie (58 sites). En outre, la Chine a soumis 59 sites à la liste indicative, 25 culturels, 17 naturels et 17 mixtes. 

L’enjeu était donc immense et cette politique s’est poursuivie malgré les scores d’efficience moyenne relativement faible obtenue sur l’attractivité des stations de ski dans chaque province, même pour celle de Beijing, comme l’explique Dong et Greffard (2019): « la capitale administrative et culturelle chinoise concentre la plus grande partie de l’attractivité touristique et sa situation géographique la favorise également sur le secteur du tourisme hivernal ». La Chine fut en 2019 un des premiers touristiques du monde avec 162,5 millions d’arrivées (Banque mondiale / OMT).  

Les Jeux d’hiver de Beijing ont présenté un nombre record de 109 épreuves dans 15 disciplines. Le ski acrobatique et le mono – bob féminin ont fait leurs débuts olympiques en tant qu’épreuves médaillées, ainsi que plusieurs nouvelles compétitions mixtes. Au total, 2 871 athlètes représentant 91 équipes y ont participé, une première pour Haïti et l’Arabie saoudite.

Des infrastructures contestées

Si l’on considère que le développement touristique doit être considéré de manière holistique, la Chine a manqué son but sur le tourisme hivernal. Elle aurait dû plutôt « s’intéresser aux liens entre la performance économique et les questions environnementales et de qualité de vie des résidents ». C’est la conclusion de Hong et Greffard écrite en 2018. Depuis la pandémie  du COVID19 a frappé la Chine comme le monde entier et ces liens sont devenus encore plus fragiles.

Pourtant la Chine avait comme objectif la neutralité carbone de ses Jeux d’hiver(3). L’a-t-elle réussi ? Les études nous manquent au-delà de la propagande et de la manipulation des données et des statistiques.

Comme pour Paris en 2024, les autorités ont cherché à utiliser au maximum les équipements et infrastructures existantes. Cela a été fait pour les cinq épreuves sur glace qui ont eu lieu au Green olympique, au Capital Indoor Stadium et au Beijing Wukesong Sports Center, sites des Jeux d’été de 2008. On a pu reconvertir certains sites comme le snowboard et le ski acrobatique qui se sont déroulés dans l’ancienne zone industrielle de Shijingshan (région de Western Hills). Malheureusement, comme les appartements du village olympique de Pékin de 2008 ont été transformés en zone résidentielle, il a été nécessaire de construire un autre village olympique, certes plus petit et suivant des critères environnementaux plus rigoureux.

Le pire fut avec la neige artificielle : selon le rapport Sport Ecology Group de l’université anglaise de Loughborough et l’association Protect Our Winters(4), plus de 100 générateurs de neige et 300 canons à neige ont dû œuvrer sans relâche, menaçant les ressources en eau de la région, malgré un effort louable de recyclage, mais ne tenant pas en compte du déversement de produits chimiques permettant d’éviter sa fonte et qui sont restés dans les sols. Ce rapport souligne en effet que si ce  processus est énergivore, gourmand en eau, le recours à des produits chimiques rend en outre les surfaces imprévisibles et potentiellement dangereuses d’après de nombreux compétiteurs.

Le spectacle des Jeux de Beijing 2022 a été impressionnant. Des dizaines de millions de personnes l’ont suivi de par le monde, mais il a suscité un débat sur l’avenir des Jeux d’hiver alors que le changement climatique s’accélère et qu’ils sont de plus en plus liés à une géopolitique de la propagande.  

En fait, on peut se poser la question de savoir si l’on pourra toujours organiser des Jeux Olympiques d’hiver après 2050.  Selon le journal Le Monde(5), sur les vingt et un sites ayant accueilli des Jeux d’hiver depuis 1924, seuls dix d’ici à 2050 pourraient encore convenir pour accueillir un tel événement, avec des chutes de neige naturelles suffisantes : « Chamonix ainsi que d’autres sites en France, en Norvège et en Autriche sont « à haut risque », tandis que Vancouver, Sotchi et la Squaw Valley aux Etats-Unis sont jugés « peu fiables ». 

Ensuite, il faudra les supprimer ou s’adapter comme le font de nombreuses stations de ski dans le monde. Robert Lanquar (2019) l’écrivait pour le Massif de Sierra Nevada en Andalousie(6) : il faudra envisager la solution du Smart Tourism et de l’Intelligence Artificielle. Il faudra comme condition incontournable les organiser  dans des régions qui n’auront pas besoin seulement de canons à neige, qui protégeront leur biodiversité et dont l’impact sera positif pour l’inclusion des populations d’accueil, vaste programme, néanmoins plausible et impératif. 

En définitive, les futurs Jeux Olympiques d’hiver vont continuer à mettre en évidence les conflits d’intérêt des parties prenantes. Il s’agit de soutenir les objectifs de la Charte Olympique qui sont tout à fait compatibles avec les Objectifs du Développement Durables (ODD) et les conclusions sur le sport de la COP26 de Glasgow. Il faudra en même temps s’attacher à la Déclaration universelle des droits de l’homme pour bien établir la hiérarchie des problématiques.

De la sorte, le Comité International Olympique pourra maintenir ses propres valeurs sur les Jeux Olympiques d’hiver et non pas accepter la loi et la vision de ceux qui poursuivre et de faire la propagande sur leurs propres objectifs comme à Beijing en 2022 ou à Sotchi en 2014.

(1) Dong H. et Greffard J-L (2019). Le rêve blanc du tourisme chinois. In Le tourisme hivernal, clé du succès et de développement pour les collectivités de montagne. L’Harmattan, Paris
(2) Comme par exemple le réseau le plus long du monde de TGV.
(3) https://www.woodmac.com/news/opinion/why-a-carbon-neutral-winter-olympics-matters-to-china
(4) Rapport publié le 26 janvier 2022 : https://www.eurosport.fr/jeux-olympiques/jeux-olympiques-un-rapport-evoque-une-menace-pour-les-futurs-jo-d-hiver-a-cause-du-changement-climat_sto8739378/story.shtml
(5) https://www.lemonde.fr/planete/article/2022/01/26/les-jeux-olympiques-d-hiver-menaces-par-le-changement-climatique_6111088_3244.html
(6) Lanquar R. (2019). Le tourisme hivernal de la Sierra Nevada résistera-t-il au changement climatique ? In Le tourisme hivernal, Clé du succès et de développement pour les collectivités de montagne ?. Op.cité
Photo Pékin 2022 / Flickr /  OLYMPIC GAMES – BEIJING 2022 – CROSS COUNTRY SKIING – 20220213 / License Creative Common / Crosnier Julien / CNOSF / KMSP