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Climat : la Méditerranée aux avant-postes du réchauffement
Par Aurelie Darbouret, journaliste et autrice indépendante | 15 mars 2022 | Mis à jour à 02:03

Le Monde est vert
| La mer Méditerranée représente seulement 0,8% des eaux du globe mais concentre 8% de la biodiversité marine. Ce bassin semi-fermé, première destination touristique du monde, compte parmi les hotspots du réchauffement climatique, et présente des taux de pollution bien supérieurs aux océans. Laboratoire des dérèglements en cours, la Méditerranée pourrait aussi être l’atelier des solutions, mais la concertation tarde à se mettre en place.
Désormais, les experts l’affirment avec certitude : la Méditerranée va connaître un des changements climatiques les plus radicaux et les plus rapides de la planète. Dans le bassin méditerranéen, le thermomètre est déjà monté en moyenne de 1,5° par rapport aux températures de l’ère pré-industrielle, et l’escalade va se poursuivre. Le réchauffement de la région pourrait atteindre +2° à +3° à l’horizon 2050 et +5° à l’horizon 2100, selon les différents scénarios de concentration de gaz carboniques, établis par les experts du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC) dans leur rapport paru en août 2021. Selon leurs prévisions, tous les événements météorologiques de la région vont s’amplifier : les épisodes de canicules vont être de plus en plus intenses, touchant 93 millions de personnes d’ici 2050, tandis que la baisse des précipitations estivales va entraîner de fortes sécheresses. Le réseau d’experts méditerranéens sur les changements climatiques et environnementaux (MedECC), qui rassemble plus de 600 scientifiques, estime que la situation est « alarmante ».
Une mer qui se réchauffe plus vite qu’ailleurs
Parmi les conséquences déjà visibles, la hausse du niveau de la mer : + 6 centimètres en moyenne au cours des 20 dernières années. La population côtière vulnérable s’élève au moins à 150 millions de personnes selon le GIEC. Des déplacements de populations sont déjà envisagés.
En même temps que la mer se réchauffe, sa salinité augmente. « Les nappes phréatiques émergent en mer à 100 mètres de profondeur et quand les eaux de mer poussent dans l’autre sens, cela entraîne la salinisation des nappes phréatiques qui deviennent impropres à l’irrigation, comme c’est déjà le cas dans le Golfe du Lion », explique l’océanologue Catherine Jeandel, du laboratoire de Géochimie marine du LEGOS. La sécheresse des cours d’eau et des sols, ainsi que l’avancée de la langue salée aura aussi des conséquences sur la production agricole des terres côtières. Les experts du GIEC estiment que la production agricole pourrait chuter de 22% en moyenne sur la rive Sud du bassin (et jusqu’à – 25% pour la production de blé), mettant en péril la sécurité alimentaire, et les économies.
En outre, l’impact du changement climatique dans le bassin se trouve exacerbé par l’urbanisation croissante, le changement d’affectation des sols et la bétonisation des littoraux. En effet, sur les 450 millions de personnes vivant dans le bassin méditerranéen, 40% habitent sur la bande côtière. L’afflux de touristes (260 millions de visiteurs par an, soit environ un tiers du tourisme mondial) qui s’ajoute aux fortes densités urbaines, créé une très forte pression sur les écosystèmes.
La mer la plus polluée du monde
« En Méditerranée, les animaux sont soumis à des concentrations de micro-plastiques plus importantes que dans les autres mers », souligne Jean-François Ghiglione, directeur de recherche à l’observatoire océanologique de Banyuls. La mer Méditerranée affiche des concentrations quatre fois plus élevées que dans le gyre du Pacifique Nord, un amas de déchets aussi appelé le 7ème continent. « La Méditerranée est une mer semi-fermée et il faut 90 ans pour que les eaux se régénèrent. Les gyres sont moins stables mais il y a des zones d’accumulation très importantes, comme au nord des Baléares ou au niveau de la Corse », insiste le scientifique. Certains prélèvements effectués dans le cadre de ses recherches ont même affiché une teneur de 50% de micro-plastiques pour 50% de zooplancton !
Selon un rapport de l’UICN de septembre 2020, 229 000 tonnes de plastiques sont déversés chaque année dans le bassin, et cette pollution pourrait atteindre 500 000 tonnes d’ici 2040 si rien n’est fait. François Galgani, océanographe pour l’Institut français de recherche pour l’exploitation de la mer (Ifremer) à Bastia, a même constaté, grâce à un robot sous-marin, la présence importante de plastique à 2200 mètres de profondeurs, là où le manque d’oxygène et de lumière ralentissent la dégradation. Et cette pollution est loin d’être la seule : les pollutions organiques, chimiques, aux hydrocarbures menacent aussi les milieux et les organismes marins.
Des écosystèmes menacés
Abritant 8% à 9% de la biodiversité mondiale, dont 20% à 30% d’espèces endémiques, les eaux méditerranéennes sont exceptionnellement riches. Mais un nombre croissant d’espèces se trouve en danger d’extinction. Les grandes nacres ont quasiment disparu de certaines zones, les gorgones ont connu des épisodes de mortalités pendant les pics de chaleurs, tandis que la tropicalisation des eaux pousse de nombreux poissons à migrer au nord. Près de 1000 espèces invasives, dites lessepciennes, ont fait leur entrée par le canal de Suez, selon un rapport de WWF sur l’état de la Méditerranée, menaçant la présence de congénères endémiques. Pollution, réchauffement des eaux de surface et des eaux profondes, surpêche, acidification…: les éléments de déstabilisation se cumulent. « Une combinaison de facteurs qui peut affecter la répartition des espèces et déclencher l’extinction locale de plus de 20% des poissons et invertébrés marins exploités vers 2050 ! », estimaient les experts du réseau MedEC en septembre 2020.
La création d’aires marines protégées semble être le seul outil brandi pour enrayer le déclin de la biodiversité. Si le principe a traversé les frontières, sa définition varie fortement d’un pays à l’autre, et même au sein d’un même pays (à titre d’exemple, 60% des eaux méditerranéennes françaises sont protégées par 17 statuts différents). « Ce qui marche, ce qui produit du poisson, c’est la protection forte. Or, la protection forte est rarissime », affirme Denis Oddy, chercheur et responsable du programme Cétacés au WWF. En septembre 2021, à l’occasion du Congrès mondial de l’IUCN, Emmanuel Macron a annoncé l’objectif d’appliquer une protection forte à 5% de l’espace maritime français d’ici 2027. À l’échelle du bassin Méditerranée, la moyenne tourne autour de 0,1% d’espaces fortement protégés.
Des solutions en-deçà des enjeux
Face aux nombreuses menaces, les États du pourtour méditerranéen se sont dotés d’outils pour se concerter. La préservation des stocks halieutiques est ainsi discutée depuis 1949 au sein de la Confédération générale de la pêche méditerranéenne (CGMP), qui fixe notamment des quotas de pêche, comme sur le thon rouge. Efficaces, mais trop lent et insuffisant pour Denis Oddy, qui étudie la Méditerranée depuis plus de 20 ans pour WWF. « Il y a des améliorations, des victoires. La pêche méditerranéenne est une pêche aux petits métiers, polyvalente, qui pourrait devenir durable, mais la pression reste bien supérieure à ce que la Méditerranée peut supporter : 90% des stocks connus de poissons sont surexploités ! »
En dehors de la pêche, la concertation avance très doucement. La Convention de Barcelone pour la protection du milieu marin et du littoral, principal accord régional sur l’environnement, réunit une fois par an ses 22 contractants (21 pays et l’Union européenne) mais compte de faibles avancées. Les États ont aussi adopté en 2016 une Stratégie méditerranéenne pour le développement durable, un texte qui vise à adapter les objectifs de l’Accord de Paris aux urgences régionales, mais dont le plan d’action, qui court jusqu’en 2025 tarde également à se concrétiser.
Dans le même temps, les pressions anthropiques se multiplient avec le développement d’activités nouvelles, comme l’éolien marin. Après les littoraux et les ressources halieutiques, les sous-sols de la mer sont aujourd’hui l’objet de convoitises. Extraction d’hydrocarbures, stockage offshore de CO2, exploitation minière en haute mer… des études exploratoires sont en cours. La découverte en 2009 de champs gaziers en Méditerranée orientale et le développement de la technologie de forage en eaux profondes et très profondes a accéléré la compétition à l’est du bassin. Si la France applique depuis 2016 un moratoire sur les permis de recherche d’hydrocarbures, celui-ci ne vaut que pour le plateau continental et demeure une exception. Des associations de plusieurs pays appellent à une extension de ce moratoire à l’ensemble du bassin, en vain.