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Régénération des forêts tropicales : des données inédites
Par Robin Chazdon, University of Connecticut; Bruno Hérault, Cirad; Catarina Conte Jakovac, Universidade Federal de Santa Catarina et Lourens Poorter, Wageningen University | 26 janvier 2022 | Mis à jour à 09:01

Le Monde est vert
| Les forêts tropicales comptent parmi les meilleurs outils au monde pour lutter contre le dérèglement climatique et le recul de la biodiversité : elles emmagasinent d’énormes quantités de carbone, abritent des milliers de plantes et d’animaux et constituent le lieu de vie des peuples autochtones qui les entretiennent.
Toutes ces raisons éclairent l’engagement pris lors de la COP26 de Glasgow fin 2021, par plus d’une centaine de dirigeants mondiaux, de mettre fin à la déforestation d’ici à 2030 De nombreuses organisations et communautés s’efforcent de leur côté de restaurer les forêts en récupérant les terres improductives ou abandonnées pour y mener d’ambitieux programmes de reboisement. Ces initiatives visent à encourager le retour des plantes et animaux indigènes, et à rétablir les fonctions et bienfaits écologiques que ces forêts fournissaient jadis. Pourtant, et cela dans de nombreux cas, ces forêts peuvent se reconstituer naturellement, sans intervention humaine ou presque. En tant qu’écologistes forestiers et membres d’un réseau de chercheurs spécialisés dans l’étude des forêts dites « secondaires » – c’est-à-dire celles qui repoussent après qu’une zone a été défrichée et cultivée ou pâturée –, nous avons publié en décembre 2021 une étude dans la revue Science où une nouvelle méthodologie nous a permis de recueillir des données sur plus de 2 200 parcelles de forêts à régénération naturelle dans les régions tropicales américaines et ouest-africaines. Nos recherches montrent que les forêts tropicales se régénèrent étonnamment vite : elles peuvent repousser sur des terres après l’abandon de l’agriculture et retrouver nombre des caractéristiques des forêts anciennes, telles que la fertilité des sols, la structure des arbres et leur écosystème, en l’espace de 10 à 20 ans seulement. Mais pour soutenir une restauration et une planification efficaces des forêts, il est important de comprendre à quelle vitesse leurs fonctions et attributs se rétablissent.La régénération des forêts
La plupart des forêts actuelles ont repoussé à la suite de perturbations humaines et naturelles (incendies, inondations, exploitation forestière et défrichage pour l’agriculture, etc.). Les forêts se sont ainsi « régénérées » aux XVIIIe et XIXe siècles en Europe et dans la première moitié du XXe siècle dans l’est des États-Unis. Dans le nord-est de ce pays, la couverture forestière est plus importante qu’il y a 100 ou 200 ans. Dans les régions tropicales, les forêts repoussent sur quelque huit millions de kilomètres carrés d’anciennes terres agricoles et d’élevage. Les scientifiques et les décideurs s’accordent à dire qu’il est essentiel de protéger ces forêts en régénération, et d’empêcher la destruction et la conversion des forêts anciennes. Les forêts tropicales ne sont pas seulement constituées d’arbres : ce sont des réseaux complexes et dynamiques de plantes, d’animaux et de microbes. La régénération prend du temps et a souvent des conséquences imprévisibles et des trajectoires variables. De plus, les modèles de reconstitution des forêts tropicales humides diffèrent des forêts sèches. https://www.youtube.com/embed/wXHmRuit6Js?wmode=transparent&start=0 Les forêts tropicales et leur rôle environnemental. (Cirad, 2021). À ce jour, ce domaine de recherche met l’accent sur des études s’intéressant à la manière dont les caractéristiques spécifiques des forêts, telles que le nombre d’espèces qu’elles abritent ou la biomasse des arbres, évoluent dans le temps et l’espace. Nous pensons qu’il est important d’appréhender la régénération des forêts comme un processus formant un ensemble cohérent, déterminé par les conditions locales, géographiques et historiques.Une vision multidimensionnelle de la reconstitution des forêts tropicales
Notre étude s’est concentrée sur 12 attributs essentiels aux forêts saines :- Le sol : quelle quantité de carbone organique et d’azote contient-il, et dans quelle mesure est-il compacté ? Un sol trop compacté (par les sabots du bétail en pâturage, par exemple) est difficile à pénétrer pour les racines des plantes et n’absorbe pas bien l’eau, ce qui peut entraîner une érosion.
- Le fonctionnement de l’écosystème : comment l’abondance et la taille des arbres changent-elles lorsque la forêt repousse ? Quel est le rôle, dans la régénération de la forêt, des arbres dont les racines sont associées à des bactéries fixatrices d’azote ? Comment la repousse affecte-t-elle la densité moyenne du bois et la durabilité des tissus foliaires ?
- La structure de la forêt : comment la taille maximale des arbres, la variation de leur taille et la biomasse totale (la quantité de matière végétale au-dessus du sol dans les troncs, les branches et les feuilles des arbres) évoluent-elles au cours de la régénération des forêts ?
- La diversité et la composition des espèces d’arbres : comment le nombre d’espèces d’arbres présentes et les modèles de diversité et d’abondance des espèces changent-ils et deviennent-ils similaires aux forêts anciennes voisines ?
La question de l’érosion du sol
Les forêts que nous avons étudiées se trouvaient dans des zones où l’utilisation des terres était d’intensité faible à modérée, c’est-à-dire là où les sols n’étaient ni épuisés ni érodés, et donc favorables à une repousse rapide de la végétation indigène. Dans la région de la forêt atlantique du Brésil, par exemple, 2,7 millions d’hectares de forêt ont repoussé naturellement entre 1996 et 2015. Les forêts tropicales ont beaucoup moins de chances de se reconstituer dans les zones où les sols sont fortement surexploités et où il ne reste aucune forêt dans les environs. Tous les attributs forestiers que nous avons examinés se sont régénérés en moins de 120 ans. Certains ont retrouvé 100 % de leurs valeurs passées dans les 20 premières années. Les attributs du sol que nous avons analysés ont ainsi atteint 90 % des valeurs de l’ancienne forêt en 10 ans, et de 98 à 100 % en 20 ans. En d’autres termes, en deux décennies de repousse, les sols des forêts contenaient pratiquement autant de carbone organique et avaient une densité apparente similaire à ceux des forêts anciennes. Cette régénération rapide a eu lieu sur des sols qui n’ont pas été fortement dégradés lorsque la forêt a commencé à repousser. Quant aux attributs de la fonction écosystémique, ils se sont aussi régénérés rapidement : de 82 % à 100 % en 20 ans.