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Gérard Wolf: « Le signal Covid-19, c’est « time for action »! »

Par Gérard Wolf pour Le Monde | 07 avril 2020 | Mis à jour à 09:04


Le Monde est vert

| Dans une tribune au « Monde », Gérard Wolf, fédérateur « villes durables à l’international » auprès du ministre de l’Europe et des affaires étrangères, défend un programme mondial d’amélioration des quartiers informels.

 

Depuis le temps que la majorité des experts s’accorde à dire que l’urbanisation galopante, particulièrement dans les pays émergents, est une bombe à retardement, nous y voilà. Ce Covid-19 est un chapitre dramatique de plus dans la longue histoire des pandémies. Mais il doit aussi nous inciter à remettre en perspective les terribles chiffres du nombre annuel de morts atteints de maladies respiratoires par pollution de l’air, essentiellement dans les villes émergentes: 4,9 millions. Tous les ans… Le « signal Covid-19 » est l’occasion de prendre enfin le sujet à bras-le-corps.

Quiconque a travaillé ou arpenté les quartiers informels de Mukuru à Nairobi, de Rocinha à Rio ou de Dharavi à Bombay sait que le simple concept de « distanciation sociale » que nous entendons partout comme première mesure de lutte contre le SARS-CoV-2 ou tout autre virus à venir, ne veut rien dire dans ces quartiers. Et ne sera jamais perçu comme ayant un sens, puisque l’organisation sociale repose au contraire sur un regroupement collectif permettant l’entraide.

Alors, on fait quoi? On constate ce grand écart? On essaie de sortir le mieux possible de la crise du Covid-19 et on se dit que, de toute façon, on n’arrivera jamais à modifier les grands équilibres urbains mondiaux? Ou on prend le temps –confinés que nous sommes– de réfléchir au « signal Covid-19 » pour voir comment ne pas creuser davantage les déséquilibres existants entre nos sociétés de pays développés et les milliards d’habitants des quartiers informels: 2,3 milliards d’après ONU Habitat, et probablement largement plus… Comment mieux y développer les gestes vitaux en matière d’hygiène, les campagnes de vaccination, et plus généralement l’éducation et les centres de soins?

Le concept de « ville durable » prend ici tout son sens. Il ne s’agit pas seulement de développer partout une ville plus sobre, avec des transports propres, des constructions plus économes en matériaux employés et moins énergivores, mais de créer des villes « sociétalement » équilibrées avec un accès égal aux soins, à l’éducation, aux transports, à la culture pour tous les habitants, quelle que soit leur localisation.

Créer des villes plus inclusives

Des villes plus inclusives. Plus créatrices d’équilibre pour les cellules familiales et plus créatrices d’emplois, notamment par le développement de l’économie circulaire. Moins polluantes, notamment pour ce qui concerne les modes de cuisson au foyer. Mieux armées contre les fléaux des pollutions, avec des réseaux de soins bien répartis. S’appuyant sur tous les acteurs concernés. À commencer par les femmes. Ecoutez Rose Molokoane, coordinatrice de la South African Federation of the Urban Poor (Fedup) et membre du « comex » de Slum Dwellers International. Elle et beaucoup d’autres sauront nous aider à avancer concrètement.

Les dernières conférences internationales relatives aux villes ont montré qu’il est grand temps de sortir de l’analyse et des réflexions académiques ; non qu’elles soient inutiles, mais, au fond, tout a été dit. Il est grand temps d’accélérer la mise en œuvre de plans d’actions, pays par pays. Nous accueillerons 2,5 milliards d’urbains en plus d’ici 2050. Plus de 80 millions par an! A Abu Dhabi, la directrice exécutive d’ONU Habitat, Maimunah Mohd Sharif, m’a dit « dépêchez-vous, les entreprises, c’est à vous d’agir, avec les gouvernements centraux et locaux ».

Le « signal Covid-19 », c’est « time for action »! Avec les responsables politiques nationaux, mais aussi, et surtout, « subsouverains », comme on dit en finance internationale: les gouverneurs, les maires, etc. Avec les organisations non gouvernementales, avec les bailleurs de fonds. Avec ONU Habitat. Et, bien sûr, avec les entreprises –dont les nôtres, en France, qui sont déjà très investies sur ces sujets.

Si on ne veut pas qu’aux drames sanitaires s’ajoutent de nouveaux drames sociétaux, il est grand temps de décider de programmes mondiaux d’amélioration des quartiers informels comprenant a minima un volet santé, un volet éducation et un volet emploi. C’est aux politiques de savoir quel est le meilleur véhicule pour ce faire : rajouter une composante aux COP (conférences des parties)? Transformer le Forum urbain mondial en conférence opérationnelle sur le sujet? Toute solution qui ne sera pas une simple usine à gaz de plus sera la bienvenue!

La France présente toutes les conditions pour initier ce programme: une réelle crédibilité au niveau multilatéral, des élus de grande qualité, qui savent ce que « gouvernance adaptée » veut dire, des opérateurs publics et privés de premier plan en matière d’aide au développement et de soutien aux initiatives locales, des ONG qui sont déjà très présentes dans ces quartiers informels, tous comme nos entreprises du secteur de la ville.

On parle de « plan de relance » au niveau mondial? Autant le bâtir en pensant au « signal Covid-19″…

 

Gérard Wolf est fédérateur « villes durables à l’international » auprès du ministre de l’Europe et des affaires étrangères et président de la task force « villes durables » au sein du Medef International.