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Transition énergétique: pourquoi et comment faut-il l’accélérer?

Par Robert Lanquar | 22 septembre 2017 | Mis à jour à 01:09


Le Monde est vert

| À quelques semaines de la COP23 qui se tiendra à Bonn en Allemagne sous la présidence des Îles Fidji, nous pouvons poser la question de savoir quand la transition énergétique aura véritablement lieu, pourquoi et comment faut-il l’accélérer ? La COP 22 de Marrakech avec sa Proclamation d’Action annonçant l’irréversibilité de la dynamique contre les effets les plus néfastes du changement climatique, n’a que devancé cette marche vers un développement durable au bénéfice des populations et de la planète.

 

« Le temps perdu ne se rattrape jamais… alors continuons de ne rien faire » disait Jules Renard à l’aube du 20ème siècle. Et même s’il y a une prise de conscience universelle sur le changement climatique, les politiques ne sont pas au rendez-vous ou même, comme pour les États-Unis avec le Président Trump, le dénient et se retirent de l’Accord de Paris (signé à la fin de la COP 21 et entré en vigueur le 4 novembre 2016) continuant de construire une politique énergétique autour du charbon et des autres énergies fossiles.

La priorité, INVESTIR dans les énergies renouvelables

Selon une interprétation consensuelle, la transition énergétique vers une économie sobre en carbone va signifier des transformations significatives des modes de production et de consommation depuis les énergies non-renouvelables vers les énergies renouvelables. Certes, la transition résulte de progrès technologiques qui s’accélèrent ces dernières années, mais des facteurs moteurs comme les prix, la disponibilité des ressources et la volonté politique des gouvernements, États, villes et territoires ainsi que la pression de la société civile, y inclus les entreprises, sont déterminants. Pourtant, selon des chercheurs américains comme Robert Bell du Brooklyn College (New York), cette transition pourrait durer encore tant que la spéculation sur les énergies vertes sera faible. Dans son ouvrage « La Bulle Verte » (1), Bell explique que la priorité doit être donnée à l’investissement pour les énergies renouvelables. Son idée est de faire que l’indicateur IPO (Initial Public Offering – Introduction en bourse de valeurs) des productions d’énergies renouvelables attire les investisseurs et que l’indicateur IPO des productions d’énergies non renouvelables les en détourne. En 2013, il lançait avec Corinne Lepage, le projet d’un « Fonds de régénération intergénérationnel » pour accélérer l’investissement pour la transition énergétique et toucher au fonctionnement des marchés boursiers, tout comme ce qui devrait être fait pour le marché du carbone (cap and trade | marché des droits à polluer).

Il semble que cet aspect financier crucial de la transition commence à être compris, puisqu’après l’annonce intempestive de Donald Trump en juin 2017 d’abandonner l’Accord de Paris, les investisseurs nord-américains ont réagi surtout en faveur des énergies renouvelables. Cela ne serait pas suffisant. Il faudrait réduire les subventions aux énergies fossiles qui s’élèveraient, selon le professeur Raphaël H. Boromand de la City University de Londres, à hauteur de 5.000 milliards de dollars US. Pour ce chercheur, c’est à l’Europe de développer une stratégie collective pour réallouer ses subventions aux énergies propres, ce qui stimulera naturellement les investissements vers ce secteur. Ainsi, comme le soulignent des banquiers suisses, la création de structures financières de type « yield co » permettraient aux énergies renouvelables de « bénéficier de rendements élevés sans assumer le risque des activités opérationnelles permettant de lever des fonds importants ». Quant à la Chine, qui est toujours le premier pollueur mondial, elle se veut aujourd’hui le leader de la transition avec un budget, d’ici 2020, de 360 milliards pour les investissements solaires. Elle aurait dépassé cette année les Etats-Unis pour le nombre de véhicules électriques ou hybrides et multiplierait les accords avec des firmes comme Manz, Tecent et Tesla.

Les énergies renouvelables sont désormais moins chères, mais…

Les progrès technologiques font que depuis peu de temps, les énergies renouvelables sont moins chères à produire que les énergies fossiles et qu’elles n’auraient plus besoin des subventions gouvernementales. Ceci change le paradigme pour accéder à une énergie électrique bon marché. Les territoires, villes et régions, en particulier dans les économies émergentes, pourraient être les promoteurs et incitateurs de la transition… et les exemples se multiplient aux Amériques, en Europe, en Asie et aussi en Afrique. Les investisseurs utilisent maintenant le concept de « levelized cost of energy (LCOE) » pour évaluer le coût global d’un kilowatt heure électrique, en intégrant l’investissement initial ainsi que le coût de fonctionnement des nouvelles installations sur toute leur durée de vie.

Des voix s´élèvent néanmoins contre le fait que la transition énergétique reposerait trop sur des mécanismes de marché. L’économiste français Thomas Porcher tout comme Thomas Piketty, estiment que l’on ne doit pas attendre 2030. Il faudrait pour cela des programmes plus globaux se basant sur la définition de projets industriels adaptés aux exigences climatiques. C’est l’exemple de l’Inde avec son objectif 2022 sur la production d’électricité solaire. Les États, les villes et territoires devront investir massivement pour moderniser les infrastructures électriques, c’est-à-dire non seulement la production, mais aussi le stockage. Subséquemment, les implications politiques seront majeures. L’annonce de l’abandon des voitures à essence ou diesel d’ici 2030 ou 2040 par plusieurs pays européens va nécessiter des dizaines de milliards d’euros pour le stockage des batteries des voitures ou celles des maisons pour leur chauffage… Il faudra enfin savoir que les métaux et terres rares dont dépend la transition énergétique pourraient manquer et voir leur prix exploser !

Avant la catastrophe climatique, le chaos social ?

L’impact sur les finances publiques ne sera pas sans conséquences, par exemple pour les transports, la perte proportionnelle des taxes sur le carburant ou la réduction des amendes dues à la circulation routière quand les voitures autonomes ou semi-autonomes répondront d’elles-mêmes à la signalisation de sécurité.

La transition énergétique pourrait être la réponse à trois défis auxquels nous devons faire face dès maintenant : le défi climatique, le défi du numérique (territoires et villes intelligentes) et le défi de la décentralisation avec une inclusion démocratique des populations locales. Pour ce dernier défi, il faudra faire encore plus vite, car avant la catastrophe climatique, on pourrait bien observer un chaos social : pollutions multipliant de graves maladies – cancers, bronchites, intoxications, mortalité des personnes fragiles durant les canicules, etc., sécheresses réduisant de manière dramatique les récoltes, surtout dans nos régions méditerranéennes, inondations désastreuses aux coûts de plus en plus élevés, élévation du niveau des mers et océans, perte de la biodiversité terrestre et marine, réfugiés climatiques qui pourraient s’évaluer à plusieurs centaines de millions dès 2030…

L’Université d’été de la transition énergétique

L’Université d’été e5t qui se déroule chaque année fin août à La Rochelle est devenue l’évènement annuel français de réflexion sur la transition énergétique. Ce qui a été dit par la plupart des intervenants : il ne resterait que cinq ans pour réussir les objectifs de la COP21… les chances ne seraient aujourd’hui que de 5%, car les marchés ne sont encore pas au rendez-vous. Le Président Trump, en quittant l’Accord de Paris, aurait rendu service à la transition énergétique selon d’autres. Il a fait réagir les signataires de l’Accord (c’est la belle phrase du Président Macron en anglais « Make our planet great again »), les entreprises et la société civile du monde entier. Pour les Européens et les Chinois, ce pourrait être une opportunité pour accélérer cette transition et gagner des marchés. L’ont souligné Myriam Maestroni, Présidente de l’Université d’été e5t, Corinne Lepage, ancienne Ministre française de l’environnement, Michèle Sabban, ancienne présidente de l’Assemblée des Régions d’Europe et actuellement à la tête de l’organisation R20, Regions of Climate Action, fondée avec Arnold Schwarzenegger,  ainsi que Fathia Bennis, PDG de Maroclear (Casablanca) qui a conclu avec une brillante intervention sur le rôle des femmes dans la transition énergétique.

Décarbonatation des transports en Andalousie

L’Andalousie est la région la plus proche du Maroc et la plus ressemblante. Plus de 3.000 initiatives ont été recensées par le gouvernement autonome, la Junte andalouse, pour assurer la décarbonatation des transports et la transition énergétique : 400 bornes de recharge électrique, achat de 2.000 véhicules électriques ou hybrides par les municipalités, provinces ou de la Junte elle-même, soit un investissement total de 80 millions d’euros. La transformation des flottes de véhicules des hôpitaux et des services de santé, de sécurité, éducatifs, postaux, sociaux, de ramassage des ordures et de nettoyage urbain s’accélère. Les aides octroyées à ces initiatives sont de 500 à 3.000 € chacune et s’inscrivent dans la Stratégie énergétique andalouse jusqu’en 2020, la Stratégie industrielle andalouse 2020 et le Plan de Développement Intelligent du territoire andalou « Andaluciasmart ».

(1) La Bulle verte, Editions Scali, 2007 (traduction de The Green Bubble – Waste Into Wealth. The New Energy Revolution, Abbeville Press, New York, 2007).

 

Robert Lanquar est Docteur en « Économie et Droit du Tourisme » de l’Université Aix-Marseille III. Il a obtenu un Ph.D. en « Recreation Resources Organisational Development » à la Texas A&M University (États-Unis).  Ancien fonctionnaire international de l’OMT, Robert Lanquar est conseiller et expert de plusieurs organismes internationaux comme l’OMT, PNUE, Banque Mondiale, Commission Européenne, etc. Spécialiste de la Méditerranée, il anime plusieurs réseaux en faveur de la coopération méditerranéenne dont le MED-DEV commerce, tourisme, environnement. Auteur d’une quinzaine de livres et de plus de 300 rapports et articles sur le tourisme et l’environnement en français, anglais et espagnol, ses travaux ont été traduits en anglais, chinois, espagnol, turc, arabe et vietnamien. Durant sa carrière, il a exercé comme professeur d’université au Canada, en France, Belgique, Suisse et en Espagne. Il enseigne actuellement à l’Université Paris I La Sorbonne Panthéon IREST et conseille l’Institut International de Management du Tourisme de La Rochelle Business School. Il est aussi Président de Cordoba Horizontes, société dont l’objectif est de mettre à la disposition des entreprises et institutions son savoir-faire dans les secteurs de l’agro-alimentaire, du commerce et du tourisme sur la zone méditerranéenne et en premier lieu, au Maghreb. Cordoba Horizontes est née de l’idée que le XXIème siècle sera celui du développement durable et que le monde des affaires doit s’adapter aux nouvelles conditions engendrées par le changement climatique.