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« Nos crises trouvent leur origine dans l’absence de solidarité »

Par Reporterre | Propos recueillis par Émilie Massemin | 12 avril 2017 | Mis à jour à 03:04


Le Monde est vert

| La crise écologique interagit avec les autres crises, explique Nicolas Hulot, qui en appelle à toutes les solidarités pour refuser un système inégalitaire. Partagé sur le quinquennat de François Hollande, lucide sur les blocages qui verrouillent l’action politique, il loue Jean-Luc Mélenchon et hésite sur Macron.

 

Nicolas Hulot a lancé l’appel des solidarités avec 80 associations. L’ancien journaliste et envoyé spécial pour la protection de la planète de François Hollande jusqu’en janvier 2016, analyse pour Reporterre la situation actuelle et les enjeux politiques.

 

Pourquoi élargir votre dernier appel à l’ensemble des solidarités ?

Il s’agit d’une évolution de notre engagement. On voit bien que les crises interagissent et qu’il faut que nous en ayons une approche plus systémique. Le sentiment partagé par toutes les associations signataires est que, si l’on veut changer d’échelle, il faut imposer aux politiques une approche globale.

Il s’agit de refuser un système dominant à la croisée de toutes les inégalités. La mondialisation telle que la France et l’Europe la mettent en œuvre et le modèle économique encouragé par la gauche comme la droite sont incompatibles avec la réduction des inégalités. Dans notre pays, depuis 1980, le PIB a été multiplié par trois et le chômage par deux. Cela montre que quelque chose ne fonctionne pas. Nous ne voulons plus participer à une forme de mystification.

Nous n’inventons rien. Ces idées ont été portées avant nous par une fraction de l’échiquier politique, mais d’une manière que je qualifierais de marginale. Cet appel doit permettre de les réaffirmer au-delà des clivages politiques.

Avant cet appel des solidarités, vous avez cherché à être au plus près du pouvoir pour encourager à la mise en œuvre de vos idées. Pour l’appel des solidarités, vous travaillez plutôt avec les autres associations. S’agit-il d’un changement de stratégie ?

Je ne suis guère stratège. Je fais les choses au moment où je les sens. J’ai eu cette intuition qu’il fallait que nous nous coordonnions avec toutes ces structures qui partagent des aspirations communes. Nous sentons intimement que nous avons atteint la limite de notre efficacité si nous continuons à agir séparément.

Mais je ne pense pas que les deux démarches soient incompatibles. Si la possibilité m’en est donnée, je continuerai à dialoguer de manière proche et parfois répétée avec des responsables politiques. Je ne vois pas pourquoi je me priverais de tenter de convaincre en circuit court et en direct. Quand on passe une heure en tête-à-tête avec quelqu’un, sans caméra, sans appareil photo et sans témoin, les postures tombent.

Vous ne pouvez pas imaginer le nombre de rendez-vous que nous avons avec des responsables politiques, avec des députés, des sénateurs, des acteurs économiques et des syndicats pour essayer d’insuffler nos informations et nos réflexions. C’est un travail au long cours. Personne ne peut prétendre entraîner seul la métamorphose de la société dont nous avons besoin. Ce travail est ma manière de contribuer.

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N’avez-vous jamais craint d’être instrumentalisé ?

Un dialogue n’est pas une compromission ! Je ne leur dois rien, ils ne me doivent rien. Je suis libre, ma parole aussi. Quand j’ai été envoyé spécial pour la protection de la planète pour François Hollande, j’ai bien distingué l’intérêt du succès de la COP21 et l’exigence que j’avais, en tant qu’ONG, que la France aille plus loin dans les engagements qu’elle avait pris. Je défie quiconque de démontrer que ma mission auprès du président a pu entraver ma liberté de parole.

J’ai participé au déploiement d’une conscience écologique en faisant bouger les lignes de l’intérieur et de l’extérieur. Évidemment, cela n’a pas permis de mettre en adéquation le modèle économique et l’exigence écologique, mais je crois que ça a permis de changer d’échelle. Avant que nous installions le dialogue du Pacte écologique, Greenpeace n’était jamais entré dans un ministère, les écologistes non plus. Depuis, les choses ont avancé et le sentiment écologique s’est répandu au-delà de la sphère écologiste. Ce travail a ensuite nourri le Grenelle de l’environnement, le paquet climat-énergie au niveau européen, la loi de transition énergétique… Évidemment, la confrontation a son utilité et il faut qu’elle puisse continuer à avoir lieu, mais elle est quand même un peu stérile. Toute forme d’action a ses limites ; l’important est d’être complémentaires.

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Quel regard portez-vous sur le quinquennat de François Hollande en matière de politique écologique ?

Il y a eu des choses positives. La première est la constance de François Hollande dans la diplomatie écologique et sa volonté que la COP21 ne débouche pas sur un échec diplomatique. Je ne dis pas que la COP21 a été une réussite écologique, mais j’ai conscience qu’un échec diplomatique aurait probablement rendu la situation irréversible. L’Accord de Paris constitue malgré tout une feuille de route et pose un diagnostic définitif de la crise climatique.

Quant à la loi sur la transition énergétique… Elle fixe des objectifs, comme la réduction à 50 % d’énergie nucléaire dans le mix énergétique en 2050, qu’elle ne se donne pas les moyens de mettre en œuvre. Cinq années ont passé et pas une tranche nucléaire n’a été fermée. Surtout, il n’y a aucune vision, aucune planification, alors que ces engagements nous obligent à faire des choix. Et je crois que beaucoup de responsables politiques n’ont pas réalisé qu’il y a des choses auxquelles il va falloir que nous renoncions.

Notre-Dame-des-Landes est un cas d’école. Pour résoudre la crise écologique et même sociale, mieux vaut mettre l’argent dans la rénovation des logements anciens que dans la consommation de terres agricoles et le trafic aérien. Il y a de bonnes intentions, parfois de la sincérité, mais on n’a pas pris la mesure des révisions et des choix que va imposer l’objectif qu’on s’est fixé.

Pourquoi le passage à l’acte est-il si difficile ?

Il y a pléthore de verrous. Certains sont culturels. Dans l’esprit de beaucoup, le progrès est quelque chose d’irréversible, le temps est notre meilleur allié et le modèle dominant fondé sur la croissance va produire de la richesse qui pourra être mise à profit pour résoudre nos difficultés. Cela vaut beaucoup à droite, mais aussi, parfois, à gauche.

Il y a aussi le poids excessivement important des lobbies.

Nous sommes enfin dans un monde où l’action politique est beaucoup plus compliquée qu’elle ne l’était, parce qu’il faut combiner le court terme et le long terme et que cette combinaison est excessivement complexe. Ceci s’inscrit dans une accélération du temps : le pouvoir politique est toujours dans le réactif, pas dans le prospectif. Prenons un exemple caricatural : la transformation du modèle agricole français. Combien de fois des ministres de l’Agriculture m’ont-ils dit : « Mais que veux-tu que je fasse ? Laisser tous les tracteurs de la FNSEA bloquer les portes des grandes villes ? » Et moi, que ferais-je ? Envoyer l’armée ?!

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Cela prouve que quelque chose dans notre fonctionnement démocratique ne fonctionne pas. Il faut que nous adaptions notre démocratie aux enjeux du long terme et la rendre plus participative et « élaborative ». Je suis absolument convaincu que si nous installions un Grenelle de l’alimentation, de l’agriculture et même de la condition animale, en mettant toutes les parties autour de la table pendant un an, nous arriverions à sortir de la crise par le haut.

Je pense qu’il faut également dédier des lieux à notre démocratie. Le Conseil économique, social et environnemental pourrait avoir un statut et un poids politique totalement différents. Il faudrait faire en sorte que les citoyens y soient beaucoup mieux représentés, que ce Conseil ait un droit de veto suspensif et que les pouvoirs exécutifs et législatifs soient obligés de l’écouter. Et, surtout, que ce soit un lieu où l’on appréhende le long terme, où on le planifie.

Je sais que ce mot n’est pas à la mode, mais ce n’est pas simplement en disant qu’on va fermer Fessenheim qu’on réussira à sortir du nucléaire. Il faut d’abord faire la démonstration que Fessenheim sera fermée dans des conditions de sûreté acceptables. Il y a aussi des conversions professionnelles à anticiper et à accompagner. Et si l’on ferme Fessenheim et qu’on ne fait plus rien pendant dix ans, ce n’est pas très intéressant non plus. Au contraire, planifier, anticiper, permet notamment aux acteurs économiques et sociaux de savoir où l’on va et entretient une forme de cohérence.

Quel regard portez-vous sur la campagne présidentielle ?

Je commence franchement à avoir peur. Je n’ai pas suivi l’émission politique, sur France 2, où était invité François Fillon, mais j’en ai fait la revue de presse : on se demande sur quoi tout ça va déboucher ! Il ne faudra pas s’étonner de se réveiller un matin soit avec un mouvement de foule qui écrase le peuple, soit avec l’extrême droite. Pour l’instant, les affaires polluent l’espace médiatique et le débat de société est confisqué.

Faisons tout de même l’examen des forces en présence. La droite s’affiche clairement à droite et revient sur ses fondamentaux. Yannick Jadot s’est sacrifié. Quant à Jean-Luc Mélenchon… sa conversion écologique ne date pas d’hier. Je pense qu’il a une vision exigeante et intégrale. Il est parfois très clivant, je ne partage pas tous ses points de vue sur l’international et j’ai des réserves sur son intransigeance à l’endroit de l’Europe, parce qu’au moment où l’on est sur un volcan, il me semble très important de préférer les mots et les attitudes d’apaisement. Mais Jean-Luc — je l’appelle par son prénom, parce que je l’aime bien — est pour moi le plus brillant des politiques sur le plan intellectuel. Sa réflexion et ses propositions vont loin. Sa mutation est peut-être même plus admirable et convaincante que celle que les écologistes ont pu faire.

Je sens la même conversion sincère chez Benoît Hamon. Le fait qu’un socialiste n’ait plus, pour une fois, besoin de sous-traiter cet enjeu aux écologistes politiques est quand même notable sur le plan de l’histoire de la politique et de l’écologie. Chose très révélatrice, lors du dernier débat de la primaire de la gauche, alors qu’on pointait l’impact de son revenu universel sur la dette française, Benoît Hamon a répondu spontanément : « Vous me parlez de dette économique, mais enfin que va-t-on faire quand la dette écologique va nous exploser à la figure ? » Je sais bien qu’il s’agit d’une formule, mais je me suis dit qu’il a compris l’échelle des priorités et des valeurs. Je vois aussi son programme se densifier sur ce sujet-là. Cela crée une émulation entre Jean-Luc Mélenchon et lui que je trouve intéressante.

Emmanuel Macron ne présente pas la même cohérence, la même exigence. Mais je ne peux pas non plus dire qu’il y a rien sur l’écologie dans son programme. Il existe quand même des divergences entre nous, notamment sur la question du nucléaire.

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Votre ancien bras droit, Matthieu Orphelin, a annoncé son ralliement à Emmanuel Macron. Comment vous positionnez-vous par rapport aux écologistes qui soutiennent l’ancien ministre de l’Économie au nom du barrage au Front national ?

Les choix de Matthieu Orphelin n’engagent que lui. Mais il n’est pas le seul à faire ce choix : Jean-Paul Besset [député européen écologiste de 2009 à 2014], dont je me sens intellectuellement très proche, a lui aussi sauté le pas. Cela m’interpelle, je ne m’y attendais pas du tout. Mais cette question est logique. Je ne vais pas vous dire pour qui je vais voter, mais nous sommes tous dans ce dilemme-là. D’un côté, nous avons évidemment cette exigence écologique qui nous donne envie de soutenir le candidat qui a la plus grande cohérence, la plus grande exigence sur ce sujet-là ; de l’autre, cette forme de pragmatisme qui nous pousse à redouter ce danger qu’on ne peut pas sous-estimer. Il y a suffisamment d’exemples récents en Europe où l’extrême droite a frôlé le pouvoir ou l’a même saisi. Il faut voir comment les choses évoluent en France. Personnellement, je ne m’exprimerai pas publiquement sur mon choix.

Ce qui m’importe aujourd’hui, c’est cet appel que nous avons lancé pour créer un mouvement citoyen, pour mettre en garde contre les mauvais choix, guidés par la peur et non par le cœur. Au-delà de la formule, il s’agit d’expliquer que nos crises trouvent leur origine dans une absence et non un excès de solidarité. Si l’on ne veut pas que la situation s’aggrave, ne faisons pas le choix de construire des murs et de se replier sur des nationalismes. Le seul antidote, c’est l’humanisme.

 

Propos recueillis par Émilie Massemin
Photos©Éric Coquelin/Reporterre
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