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« Le bélier hydraulique pour reconnecter les femmes à la source »

Par TEAM R20 | 27 novembre 2020 | Mis à jour à 12:11


Le Monde est vert

| Du haut de ses 37 ans, Nicolas Bandassi est un maraîcher touche-à-tout, passionné par la terre et la nature. Son parcours l’a amené à réhabiliter dans son quotidien, cette invention génialement écologique des frères Montgolfier, passée aux oubliettes : le bélier hydraulique. Interview.

Peux-tu te présenter en quelques mots ?

Je m’appelles Nicolas, j’ai 37 ans, j’ai toujours vécu dans un village du sud grenoblois, à Saint Paul de Varces dans le PNR du vercors. Une petite vallée dans laquelle coule un joli ruisseau, où j’ai passé beaucoup de temps dans mon enfance.
Mes grands parents agriculteurs et ouvriers et mes parents ouvriers m’ont offert une enfance de rêve… bercés entre récits de campagne, vacances à la mer l’été, et travaux ruraux l’hiver.
Aussi loin que je me souvienne, le désir de vivre des expériences en lien avec la terre, a toujours été présent.
Plus grand et enfin débarrassé de l’école, j’ai partagé ma vie entre voyages, travaux sur les chantiers de charpente métallique et développement d’une micro-activité agricole. D’abord autour de la trufficulture puis de l’apiculture et enfin du maraîchage.

Toi qui utilise le bélier hydraulique tous les jours, peux-tu nous en dire quelques mots ?

L’eau était un thème fréquent à la maison et petit déjà, elle me fascinait. Pas comme un nageur mais plutôt comme un observateur, fasciné par sa puissance.
Alors, plus tard quand il a fallu imaginer comment amener l’eau de ce petit ruisseau jusqu’en haut de mon grand jardin où il n’y a pas l’eau courante, je me suis rappelé ce petit schéma perdu au milieu d’un bouquin épais comme le poing.

Ce schéma sans le savoir, a changé ma vie au jardin et même un peu plus, c’était celui d’un bélier hydraulique.

Mais l’article qui accompagnait le dessin était si succinct, qu’il a fallu se lancer dans des recherches assez conséquentes pour vraiment comprendre si et comment cela pouvait m’aider.

Le bélier hydraulique est une machine tout droit sortie du XVIIIème siècle. Issue d’une invention de John Whitehurst en 1772, le bélier voit le jour par la main de Joseph Montgolfier en 1792.

À gauche, un bélier de la vieille époque de la marque Ledoux. À droite, la fabrication artisanale du bélier de Nicolas Bandassi.

Montgolfier utilise en effet dans son invention le coup de bélier ( le fameux « dong » que l’on entend parfois en fermant le robinet trop vite).

En quelques mots, le bélier ne peut fonctionner que grâce à l’énergie potentielle d’un cours d’eau ou d’une source.

Il est en revanche inopérant sur une masse d’eau stagnante.
L’eau est acheminée par gravité dans un tuyau vers le bélier en contre bas.
On peut, pour simplifier un peu, dire que l’eau en accélérant dans la conduite, pousse un clapet et le referme brutalement (le coup de bélier).

L’énergie de ce coup de bélier est alors dirigée via une chambre remplie à moitié d’air et d’eau et pousse une petite fraction de l’eau qui le traverse vers un point plus élevé que la source initiale.

Pour faire encore plus simple ; 90 % de l’énergie de l’eau qui traverse un bélier est transférée au 10 % restant, qui peuvent donc s’élever beaucoup plus haut.

Résultat : pas d’électricité, pas d’essence, une seule pièce d’usure et tout un tas d’autres avantages qui lui ont valu de disparaître à partir du début des années 50, au profit des pompes bruyantes et polluantes mais ô combien plus en phase avec l’aire industrielle.

Aujourd’hui cette invention n’a jamais été autant d’actualité et pourtant, elle peine encore à séduire…

Jugée trop confidentielle par les uns ou trop difficile à mettre en place, elle pâlit également d’un marché économique peu porteur.

À l’heure des profits à outrance, une machine d’une telle fiabilité et si simple à entretenir, ne pourrait dégager de substantiels bénéfices.
Il faut bien comprendre que le bélier hydraulique ne pollue pas, est facile d’entretien, et peut-être fabriqué par tous, avec peu de compétences.

Quel coût cela représente t-il ?

Il est relativement simple de fabriquer son bélier tout seul car un tas de tutos internet expliquent ça très bien.

Que ce soit avec du petit matériel de plomberie en laiton ou même en pvc et quelques outils, tout le monde peut se lancer dans la fabrication de son bélier.

Évidemment, la fiabilité peut ne pas être au rendez-vous si les conditions de fonctionnement ne sont pas respectées.
Le coût peut être très variable selon les installations, mais on peut dire qu’avec du matériel de récup’, un bélier revient à quelques dizaines d’euros pour un petit modèle.
Le prix peut monter en fonction de l’installation et du site, bien entendu.
Quoi qu’il en soit, il suffit d’un cours d’eau et d’une pente, même légère, et le tour est joué.

Quelles applications pourrait-on imaginer dans certains pays où l’accès à l’eau est difficile ?

Je n’ai pas une expérience significative en la matière, néanmoins, il me paraît probable d’imaginer la pertinence et le succès d’une telle machine dans les pays où l’eau est difficilement accessible..

De nombreux atouts, parmi lesquels sa fiabilité et ses faibles coût de fabrication et d’utilisation.
En remplaçant les motopompes ou en équipant des sites avec des béliers hydrauliques (quand cela est possible), on pourrait affranchir les populations du coût de l’essence et des pannes mécaniques.

On pourrait aussi dégager du temps aux habitants et aux habitantes qui, je n’en doute pas, portent aussi l’eau par leurs propres moyens ou à dos d’animaux.

Mais pas seulement.

En voyage, j’ai souvent pu constater que les femmes sont souvent la clé du problème.

Je ne dis pas ça en rapport avec le débat actuel mais parce que j’en suis convaincu.

Perdu au fin fond du Kirghizistan, si quelqu’un est capable de vous parler en anglais, qu’elle ouvre un peu son quotidien, qu’elle vous montre qu’elle gère la maison mais aussi les enfants et qu’en plus, elle monte une association pour favoriser un petit business local pour financer les cahiers et les stylos des gosses… alors il y a 100% de chance pour que ce soit une femme.

Pour faire le lien avec la transmission et la formation, on pourrait mettre en parallèle ces femmes avec l’eau, d’abord puisqu’elles sont toutes les deux symboles de vie mais aussi, car j’ai l’image d’Épinal en tête, de ces femmes qui vont chercher l’eau et qui en sont responsables.

Si grâce au bélier, l’eau arrivait enfin jusqu’aux populations et puisqu’on en parle, aux femmes, on peut imaginer que ce gain de temps leur permettrait de développer d’autres activités que de charrier de l’eau. L’autonomie, c’est la liberté.

De plus, si le climat socio-culturel s’orientait davantage vers la formation des femmes, la parité s’équilibrerait. Solidaires, courageuses et fertiles, les femmes ont déjà tout pour être les gardiennes de l’eau.

Medias©NicolasBandassi