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Liban: le défi de la gestion des déchets
Par Follow'Her | 14 février 2019 | Mis à jour à 10:02
Communautés
| Au Liban, la gestion des déchets solides représente un enjeu écologique de taille, menaçant l’environnement et la santé des libanais. L’équipe de l’association Follow’Her a pu constater l’ampleur du problème et aller à la rencontre des solutions sur le terrain.
Des déchets rarement recyclés
Il suffit d’un chiffre pour comprendre l’urgence de la situation au Liban: 77% des déchets solides des ménages sont jetés dans des décharges à ciel ouvert ou dans les rues. Un non-sens quand on sait que 89% de ces déchets pourraient être facilement compostés ou recyclés(1).
À cela s’ajoute un contexte géographique particulier : dans ce pays côtier très urbanisé, les décharges sont souvent situées en pleine ville ou en bord de mer. Une partie des déchets finissent donc dans les rues ou dans la mer, ce qui va même jusqu’à augmenter la superficie des côtes. De nouvelles parcelles de terrain ont été ainsi générées sur 200 000 m². Cela engendre de nombreux problèmes sanitaires et environnementaux, notamment la détérioration de la qualité de l’air et de l’eau. Cette situation menace également le cadre de vie des habitants, gênés par les décharges et les nombreux déchets jonchant les rues des villes libanaises.
Le gouvernement peine à répondre aux contestations
En 2015, des manifestations éclatent dans tout le pays à la suite d’une première vague de revendications à Naamé, où la plus grande décharge du Liban est complètement saturée. Certains habitants de Naamé décident de bloquer l’entrée de la décharge, empêchant tout le système de collecte de tri de Beyrouth et de ses environs de fonctionner. Les rues de la capitale se remplissent de déchets et la crise éclate : plusieurs milliers d’activistes, en soutien aux habitants de Naamé, se réunissent au sein du collectif « Vous puez » et organisent des manifestations de grande ampleur.
Le mouvement est fortement réprimé par les forces de l’ordre, mais le gouvernement annonce qu’il envisage plusieurs solutions, dont l’ouverture d’autres décharges et l’exportation des déchets en Russie. La plupart de ces projets n’ont pas encore été mis en place et les décharges existantes continuent de s’étendre. À titre d’exemple, la décharge côtière de Tripoli, qui ne devait pas excéder 12m de hauteur, mesure actuellement 35m.
Aujourd’hui, l’État libanais souhaite construire des incinérateurs pour stopper l’expansion des décharges. Les activistes écologiques dénoncent ce projet, qu’ils considèrent comme polluant et peu adapté au type de déchets générés par les libanais, et prônent un recours au tri et au recyclage pour résoudre la crise. Selon Paul Abi Rached, président du Mouvement écologique libanais, la majorité des régions libanaises sont pourvues d’usines de tri secondaire pour les déchets ménagers, mais la plupart sont fermées ou sous-utilisées, faute de sensibilisation des populations au tri à la source. Des campagnes de sensibilisation assorties de la réouverture de ces sites permettraient de recycler la majeure partie des déchets et de réduire le problème des décharges.
De belles initiatives se développent au sein de la société civile
Au-delà de ces contestations, plusieurs initiatives privées ont également développé des solutions à leur échelle pour réduire le problème des déchets. C’est par exemple le cas de Recycle Beirut(2), une entreprise sociale collectant et triant des déchets recyclables dans la capitale, en employant principalement des femmes réfugiées syriennes. Indépendante de la municipalité, cette entreprise fait payer un forfait mensuel aux habitants qui souhaitent que leurs déchets soient collectés chez eux. Bien qu’impressionnante, cette initiative n’est malheureusement accessible qu’aux foyers aisés.
D’autres projets, comme arcenciel(3), tentent de collaborer avec les municipalités pour rendre leur solution accessible à tous. Cette grande association, qui agit sur de nombreuses problématiques sociales et environnementales, a pu mettre en place trois sites de tri des déchets en partenariat avec des municipalités, mais déplore le manque de sensibilisation des habitants.
C’est justement sur cet aspect que travaille l’association Green Track(4), avec laquelle l’équipe Follow’Her a travaillé pendant un mois. L’association est née dans le quartier de Jabal Mohsen à Tripoli, une zone très touchée par les récents conflits, et où certaines femmes inactives désiraient s’engager dans leur communauté pour résoudre le problème des déchets. Grâce à cette équipe de “green women”, l’association a sensibilisé tout le quartier au tri à la source et y a déjà mis en place un véritable système de collecte et de tri des déchets recyclables. Pour financer ce système, Green Track a développé une deuxième activité : l’association aide municipalités et entreprises à sensibiliser au tri à la source pour mettre en place des projets de recyclage.
Enfin, sur le plan technique, citons Cedar Environnemental(5) qui a également développé une solution destinée aux municipalités. Cette entreprise construit des centres de tri et de compostage et les vend aux municipalités comme une alternative écologique aux décharges.
Le défi de ces initiatives : la collaboration avec les pouvoirs publics
Malheureusement ces projets peinent à s’étendre, bloqués par le manque de volonté politique. Les intérêts des pouvoirs publics locaux sont en effet souvent liés à ceux des organismes de collecte existant, ainsi qu’à ceux de l’Etat, qui souhaite encourager la mise en place d’incinérateurs. A Tripoli, de forts soupçons de corruption planent sur la mairie : celle-ci aurait récolté d’importants fonds pour mettre en place un projet de collecte et de tri similaire à celui de Green Track, toutefois le projet n’a jamais vu le jour.
Ces initiatives émanant de la société civile restent donc de faible ampleur, faute de soutien politique. Pour elles, le défi est de collaborer avec les pouvoirs publics, malgré la corruption, afin d’étendre leur action et leur impact.