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La Grande muraille verte : une meilleure qualité de vie dans le Sahel ?
Par Antoine Leblois, Chargé de recherches, économie de l'environnement et du développement, Inrae pour The Conversation France | 25 mai 2023 | Mis à jour à 09:05
Communautés
| Au cours des dernières décennies, des millions d’habitants ont dû quitter leurs terres arides et semi-arides d’Afrique Sub-Saharienne pour se mettre en quête de sols plus fertiles. Les catastrophes naturelles et les conflits internes aggravent aujourd’hui une insécurité alimentaire déjà aiguë dans certaines zones rurales.
Au Nigeria, les inondations du mois de novembre 2022 ont par exemple généré plus de 1,5 million de déplacés en l’espace de quelques semaines seulement. Dans la bande sahélienne s’opère une extension des terres cultivées, menant à une grande pression sur les terres arables depuis les années 1970.
Cette extension des cultures, ainsi que l’absence de jachères, engendre une érosion de couches superficielles des sols qui tend à réduire leur fertilité et donc les rendements agricoles.
C’est pour contrer cette tendance, désignée comme « désertification » – au risque de généraliser des évolutions parfois limitées à certaines zones et d’origine plus anthropique que climatique – que les dirigeants africains se sont accordés à créer une immense bande de verdure visant à lutter contre la désertification et la dégradation des sols.
Appelée « Grande muraille verte » (GMV), le projet a été lancé en 2007 dans le but de planter une ceinture d’arbres et d’arbustes de 15 km de large qui s’étendrait de la côte du Sénégal sur l’Atlantique à Djibouti sur la Corne de l’Afrique. Ces nouveaux écrins de verdure devaient ainsi générer des emplois saisonniers et favoriser les rendements et la biodiversité.
Des débuts poussifs
La GMV a vu le jour il y a désormais plus de 15 ans. En 2020, une évaluation réalisée par des experts indépendants mandatés par les Nations unies indiquait que l’objectif de restauration (de 100 millions d’hectares) n’avait été atteint qu’à hauteur de 4 %. Elle atteindrait 20 % de ces objectifs selon les estimations les plus optimistes, probablement largement fondées sur des déclarations des récipiendaires de l’aide et non sur des estimations fiables.
Le projet a alors tenté de renouer avec l’élan de ses débuts en bénéficiant d’une couverture médiatique importante lors du One Planet Summit de janvier 2021. Pas moins de 11 milliards d’euros de financement supplémentaire ont ainsi été promis par des banques de développements et des bailleurs de fonds bilatéraux (dont la France pour 600 millions via l’AFD) afin de poursuivre l’effort de reboisement. Ces promesses des bailleurs sont souvent en décalage avec les besoins du terrain et ne cherchent pas à améliorer la qualité de la mise en œuvre pourtant plus complexe qu’elle n’y paraît, au risque de passer pour une opération de communication.
Une évaluation complexe
Malgré cette seconde chance, la dernière édition du Global Land Outlook de la Convention des Nations unies sur la lutte contre la désertification, publiée en mai 2022, ne révèle pas davantage d’amélioration.
L’exercice de suivi est également rendu compliqué par la multiplicité des donateurs et parties prenantes impliqués dans l’initiative. L’instauration récente de l’Accélérateur de la GMV devrait contribuer à mieux évaluer les progrès de reboisement réalisés par rapport aux objectifs et surmonter les nombreux défis, comme le faible taux de survie des arbres plantés, ou les effets négatifs indésirables.
La disponibilité de données sur la localisation des projets de restauration pourrait toutefois permettre une évaluation beaucoup plus fiable, vu la grande quantité de données historiques permises aujourd’hui par les technologies de télédétection (imagerie satellite).
Des impacts hétérogènes
Si les évaluations d’impact à grande échelle sont encore limitées par l’accès aux données, les chercheurs peuvent néanmoins bâtir des conclusions sur des expériences très localisées. Les sciences sociales ont notamment un rôle important à jouer dès lors que l’impact de ces projets ne se mesure pas qu’en couverture forestière ou indice de biodiversité, mais également en qualité de vie humaine.
Au Nigeria, il serait par exemple tentant de conclure que le programme est une réussite si on le mesure à la quantité de plantes produites (environ 7 millions), de vergers (plus de 300 hectares) ou de haies (plus de 700km) crées. Ici, la simple comparaison d’une zone avant et après la mise en œuvre d’un verger, illustre bien ce constat.
Il est tout aussi indispensable de s’assurer que ces gains profitent aux catégories de la population les plus vulnérables. Dans certaines zones, les femmes n’ont parfois pas été assez associées aux opportunités économiques portées par la Grande muraille verte et dans d’autres, les administrations locales ont cherché à privatiser les terres restaurées qui auraient pu être détenues par tous les membres de la communauté.
Une meilleure santé des enfants au Nigeria ?
Dans une récente étude, nous évaluons la capacité de la GMV à améliorer le bien-être des enfants vivant à proximité des zones nouvellement verdies au Nigeria. L’accès aux données géolocalisées de projets de haies et de vergers communautaires nous a permis d’identifier des enfants ayant pu bénéficier des activités de la muraille verte et de les comparer à leurs semblables non exposés à ces projets.
Les résultats suggèrent que les enfants vivant à moins de 20km des projets ont tendance à être plus grands : ce résultat est très robuste statistiquement dans le cas des vergers communautaires.
Si cette amélioration de la santé peut s’expliquer par la restauration de services écosystémiques, elle peut aussi être liée à la progression de l’emploi sur le court terme, qui soutient la demande et l’activité locale (marchés).
Les données disponibles ne suffisent pas en l’état à effectuer un diagnostic rigoureux du marché de l’emploi dans les zones exposées au programme, ni de bien apprécier les services écosystémiques rendus par les espaces arborés. Seule l’analyse de la diversité du régime de ces enfants, augmentée dans le cas des vergers communautaires, nous laisser penser que des effets directs existeraient.
Réconciliation des approches
Selon une étude récente sur la rentabilité de la restauration environnementale, 1 dollar investi dans de tels programmes bénéficierait déjà aux populations riveraines à hauteur de 2,4 dollars au Nigeria contre 1,2 dans l’ensemble du Sahel. Elle ne prend pourtant pas en compte les effets indirects, comme l’amélioration de l’alimentation des enfants en bas âge.
Bien que les mécanismes à l’œuvre soient encore à documenter, ces résultats précisent le débat sur l’intérêt de ce programme, la GMV étant notamment critiquée pour son incapacité à impliquer les populations rurales environnantes et à apporter un réel soutien aux populations vulnérables. Les objectifs initiaux de reboisement et de stockage du carbone, suggérés par les bailleurs, pourraient être finalement en décalage avec les besoins locaux.
En se détournant de l’idée initiale de reboisement exogène pour évoluer vers une mosaïque d’interventions adaptées aux contextes locaux, la Grande muraille verte tend à réconcilier les approches. La restauration de milliers d’hectares de couvert arboré offre aux populations locales un éventail d’opportunités économiques plus diversifiées et plus productives. Reste à surveiller si ces activités porteront leurs fruits sur le long terme, considérant le défi de la survie des essences choisies.