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Malcom Ferdinand : « L’écologie depuis les Outre-mer français »

Par Malcom Ferdinand, chargé de recherche au CNRS, texte de transcription de la vidéo réalisée en 2021 dans le cadre du MOOC Outre-mer et Objectifs de Développement Durable, produit et coordonné par la Fondation UVED | 10 mars 2022 | Mis à jour à 09:03


Le Monde est vert

| « Je vais vous parler aujourd’hui de la question de l’écologie depuis les Outre-mer français. Outre-mer français, je parle de ces territoires situés dans trois océans, avec un ensemble de problématiques écologiques distinctes, différentes. On parle, par exemple, du réchauffement climatique, de la pollution aux pesticides, de la pollution de l’air. On parle aussi des questions de souveraineté alimentaire, est-ce qu’on va pouvoir se nourrir, nourrir la population ? Et on parle aussi des questions de biodiversité. C’est sur ce dernier aspect que je vais parler un peu plus, à travers la question des récits. « 

1. La biodiversité en Outre-mer, quels récits ?

Comment va-t-on pouvoir raconter ces enjeux écologiques, en général, mais aussi ces enjeux de biodiversité ? Pourquoi la biodiversité est importante ?
Parce que, effectivement, les Outre-mer sont des territoires avec une biodiversité très riche et diverse. Souvent, quand on parle de biodiversité, on a en tête ces images vraiment très belles avec, par exemple, la pointe des Châteaux en Guadeloupe, cette tortue en NouvelleCalédonie, ou alors ces récifs et atolls de Polynésie. Elles sont importantes car, effectivement, on est à des taux de biodiversité et d’endémisme vraiment remarquables. Pour vous représenter un peu cela, je vais vous mettre quelques chiffres. Vous avez 80 % de la biodiversité française qui se trouvent dans les Outre-mer. Vous avez 98 % de la faune endémique vertébrée qui se trouvent aussi dans les Outre-mer. 97 % de l’espace marin français est dû à la présence des Outre-mer. Dans ces espaces marins, on trouve 10 % des récifs coralliens, récifs lagunaires, et 20 % des atolls. On est vraiment dans un espace  extrêmement vaste. La France est le deuxième pays au monde avec la plus grande surface maritime, le premier étant les États-Unis. Voilà, pour vous représenter un peu toute cette biodiversité.
La question à se poser, c’est est-ce que ces images, ces chiffres, permettent de raconter toute l’histoire ? Évidemment, je pense que non. Il y a un ensemble de problématiques, de questions, qui sont peut-être masquées par cette façon de raconter les enjeux écologiques dans les Outre-mer. Je vais en pointer quelques-uns.

2. La question sociale

Le premier qui est extrêmement important est celui de la question sociale. Ces territoires sont, de façon générale, dans des conditions socio-économiques bien plus difficiles que ce que l’on rencontre, en général, dans l’Hexagone. On parle d’inégalités sociales très fortes, on parle de taux de pauvreté extrêmement importants, on est à 39 % à La Réunion, 77 % à Mayotte en 2018. On parle de taux de chômage deux à trois fois supérieurs à ceux qu’on va trouver dans l’Hexagone, avec, par exemple, 25 % en Guadeloupe et 35 % à Mayotte en 2018. Puis, autre chose, quand, par exemple, vous achetez un panier alimentaire, dans l’Hexagone, pour une valeur de 100 euros, ce même panier vaudra entre 135 et 146 euros dans les Outre-mer, précisément dans les DROM.
Tout ça dénote d’une difficulté à pouvoir s’alimenter et se nourrir correctement. C’est une première problématique à prendre en compte. Pourquoi est-ce important ? Plus il y a une forme de justice sociale, plus il y a des conditions de vie sociale dignes, mieux on sera à même de prendre en charge l’ensemble des problématiques écologiques, y compris celles de la biodiversité.

3. Le passé colonial

Autre point qui est masqué par ces images idylliques des Outre-mer, c’est, bien sûr, le passé colonial, esclavagiste et impérial de la France. Pourquoi est-ce important de rappeler ce passé ? D’abord, point factuel, les Outre-mer sont, en général, les vestiges de l’empire colonial français. Cela signifie aussi que comprendre les politiques de la France, cette fois-ci, à l’échelle nationale, les politiques écologiques de la France, c’est comprendre la façon dont la France a habité la terre historiquement. La colonisation n’était pas que la domination de peuples, le vol ou l’accaparement de terres, mais c’était aussi des politiques extractivistes, destructrices de l’environnement, extrêmement violentes. On pense, avec l’extractivisme, à l’exploitation du nickel en Nouvelle-Calédonie, on pense aussi à la quête de l’or en Guyane, on pense aussi aux plantations sucrières du XVIIIe et XIXe siècles, en Martinique et en Guadeloupe, avec les plantations de cannes à sucre, mais aussi, aujourd’hui, les plantations de bananes. Puis on pense également aux essais nucléaires de Polynésie, essais qui ont été imposés aux Polynésiens, notamment sur l’atoll de Moruroa. Comprendre cette histoire, ce n’est pas une forme d’idéologie ou de repentance, mais comprendre que ça constitue une dimension importante de l’écologie, ou de la manière dont on va penser les enjeux écologiques dans les Outre-mer et donc en France. Aujourd’hui, beaucoup de Polynésiens cherchent à pouvoir se soigner et demandent justice par rapport aux essais nucléaires. L’atoll même de Moruroa risque de s’effondrer. Aujourd’hui, la Martinique et la Guadeloupe souffrent d’une contamination durable, générale et délétère au chlordécone, ce pesticide cancérigène, perturbateur endocrinien. C’est une des dimensions importantes à prendre en compte dans cette manière de penser l’écologie depuis les Outre-mer.

4. La justice sociale

Autre dimension qui permet de changer le récit qu’on va avoir des Outre-mer : va-t-on toujours conserver cette image d’écosystème de tortues sans êtres humains, ou, au contraire, va-t-on pouvoir proposer un autre récit où les êtres humains, aussi, y compris ceux des Outre-mer, ont leur place ?

Là, troisième point que je voulais aborder, je parle de toutes les luttes de dignité, de justice sociale pour l’égalité, qui se mènent dans les Outre-mer, y compris pour la préservation de l’environnement.

Après 50 ans de contamination, il faut rappeler qu’aucune personne, physique ou morale, n’a été condamnée pour cette contamination qui peut durer plusieurs années, voire plusieurs  siècles. Enfin, il y a d’autres luttes. J’ai rappelé la lutte des Polynésiens par rapport aux essais nucléaires, mais il y a aussi tout un ensemble de luttes pour la dignité humaine.
Parler d’écologie dans les Outre-mer, c’est aussi parler d’écologie aux frontières nationales et géographiques de la France. Pensons, par exemple, à ce qu’il se passe à Mayotte avec une forte immigration liée à l’histoire coloniale des Comoriens à Mayotte. On va avoir des Comoriens qui vont être traités de manière totalement indigne, avec des politiques qui vont séparer, notamment, les parents de leurs enfants. On va avoir aussi de la xénophobie, dans certains territoires, en Guadeloupe et Martinique, à l’encontre de travailleurs en situation irrégulière, des travailleurs saint-luciens, haïtiens, ou alors de travailleurs brésiliens en Guyane. Il faut comprendre qu’on ne pourra pas préserver les conditions de vie sur la planète si, dans le même moment, on continue à traiter de manière totalement injuste et indigne des personnes humaines tout simplement car, sur leurs papiers d’identité, il n’y a pas le mot « Français » ou autres.

5. Tisser un récit commun

Il y a des associations, des mouvements, des penseurs, des écrivains, des artistes, qui ont déjà réfléchi, depuis bien longtemps, à la façon dont on pourrait habiter ce monde autrement, dont on pourrait se rapporter à la terre, au vivant, au non-humain, à la faune et la flore, d’une façon qui ne soit pas aussi violente, si extractiviste, aussi destructrice de la vie même, du tissu vivant. Plutôt que d’arriver avec des lunettes extérieures en disant : « Voici ce qu’est l’écologie dans les Outre-mer, voici le nombre d’écosystèmes d’espèces endémiques », il est, me semblet-il, plus important de voir comment tisser un récit commun avec tous ces acteurs, tous ces penseurs, avec tous ces peuples, toutes ces langues, toutes ces cultures, toutes ces pratiques.
Je crois que là, on a une manière de faire un monde divers, à la fois au niveau écosystémique,
mais aussi au niveau social, humain. C’est là-dessus que j’aimerais conclure cette présentation.

6. Conclusion

Quand on parle de la France, on reste avec cette image de l’Hexagone, plus la Corse, image que l’on retrouve quand on regarde la météo ici même, en France hexagonale, mais que l’on retrouve à l’étranger quand on parle de la France. Or, je pense que pour les Outre-mer et pour la France en général, il est important de repenser cet imaginaire géographique et politique de ce qu’est la France. Il faut non seulement prendre en compte la diversité géographique de ces Outre-mer, mais il faut aussi prendre en compte la diversité culturelle, politique, littéraire, linguistique de ces Outre-mer, non pas comme une forme de trophée, comme ça peut être le cas en disant : « Regardez la biodiversité qu’on a », mais plutôt comme des compagnons de bord, comme des personnes avec qui on va habiter la terre et fonder un monde ensemble.
Parce que quand on parle d’écologie, de quoi parle-t-on ? On parle de rapport à la terre et de rapport au monde. Parler d’écologie depuis les Outre-mer, c’est poser la question de quelle façon il est possible d’instaurer un monde, un monde commun avec ses différents écosystèmes, ses tortues, ses récifs, mais aussi avec ses différentes personnes, avec leur dignité, leurs histoires, leurs cultures.

Pour en savoir plus sur la question de la transition écologique dans les Outre-mer, vous pouvez vous inscrire au MOOC Outre-mer et Objectifs de développement durable jusqu’en décembre 2022.  
Cet article est republié à partir de Uved Université Virtuelle Environnement et Développement durable, sous licence Creative Commons. Lire l’article original.